Le Roi de Bohême

Article => Bienvenue en enfer ! Sudder Street au 20ème siècle !

Le 23/04/2025 0

Je vais présenter une série d'articles sur mes aventures dans l'enfer de Kali, sainte patronne de Calcutta et déesse de la mort et des génocides :

Capture d ecran 2025 04 21 030751Ou en version un peu plus moderne, ça donne ça :

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L'arrivée à Calcutta et à Sudder Street...

Allons bon, il faudra bien un jour que je raconte un peu mes aventures indienne, donc en attendant le conclave,... je retourne 33 ans en arrière quand je m'embarque pour Calcutta le 20 novembre 1991. En ce temps béni où on était encore préservé des téléphones portatifs et de l'internet, et en plus j'y vais avec Benoît Lange qui y été déjà allé 3 fois, je ne suis pas inquiet, mais lui l'est, et c'est pour ça qu'il ne me dit pas tout.

Avec nous, on trimballe une centaine de kilos de médicaments pour le docteur Pregger et aussi 14'000 dollars pour le même docteur Pregger...

Et donc on arrive naturellement à l'aéroport qui ressemble plutôt à un grand hangard qu'à un terminal digne de ce nom, pour transporter tous ces médicaments, il nous faut des chariots, j'en trouve un et je charge des valises de médicaments avant de lancer par-dessus mon sac à dos. A peine sorti du "terminal", une petite gamine toute sale de même pas 10 ans vient m'aider pour guider le chariot, et c'est vrai que les roulettes sont brinquebalantes, donc une qui guide par devant le chariot, c'est sympa..., sauf que la guide appartient à la plus puissante mafia de Calcutta, celle de l'aéroport, et si c'est la plus puissante c'est parce qu'il s'agit de la plus riche, parce que les gens qui arrivent là n'ont pas encore de roupilles, ils ont des dollars, comme moi.

A peine parti, voilà que je roule sur le petit orteil de la gamine qui se tord de douleur, je sens bien le coup en poussant le chariot et j'en suis tout désolé, parce que vu le poids et vu la petite gamine, pieds nus, sûr que je lui ai au moins pété le petit orteil, ... d’ailleurs, il n'a pas bonne mine son petit orteil, ... je suis tout désolé, je ne sais pas quoi faire pour arranger le coup, je viens d'arriver et voilà que je fais déjà plus de mal que de bien ! … Aors qu’est-ce qu’on fait dans des cas pareils quand on est Suisse ? - Eh bien on règle le problème avec de l’argent ! Quand je sors le porte-monnaie je la sens déjà un peu soulagée, et quand on arrive tout droit de Suisse, on ne se ballade pas avec des billets d’un dollars, je lui donne le plus petit et je vais passer pour un pingre : 10 dollars (300 roupilles), et c’est pour ça que la mafia qui tient les mendiants de l’aéroport est la plus riche, parce qu’au lieu de mendier roupille par roupille, eh bien c’est dollars par dollars (1USD = 30 roupilles). Et là le pied va mieux, Benoît me demande combien j’ai donné, je le lui dis et il m’explique le truc : la petite fille se casse l’orteil sous tous les chariots qu’elle aide à guider, elle bosse pour la mafia qui lui a justement cassé l’orteil pour la première fois pour lui montrer que ce n’était pas si grave.

Vous pouvez trouver ça un peu rude, de casser l’orteil d’une gamine pour arriver à mendier plus, mais c’est toujours mieux que de se faire verser de l’acide dans les yeux pour mendier en tant qu’aveugle sous la gare d'Howrah, dans un quartier pourri où les gens payent en roupilles.

Et donc on charge toutes ces valises dans un taxi et direction Sudder Street, la rue des routards, il n’y a d’ailleurs que des routards, volontaires, pédophiles dans la rue, pas un seul immeuble d’habitation, que des hôtels à routards, guest-house à peine meilleures, hôtel de standing honnête comme celui de Benoît (13 dollars la nuit), c’est l’Astoria, droit en face du Maria Hôtel, moins cher que l’armée du Salut au bout de la rue me dit Benoît, et donc c’est là que je vais. Je n’ai pas le temps de traverser la rue et d’arriver à la réception qu’un vieux bonhomme est déjà au taquet : «Qu’est-ce que tu veux, haschisch, ganga, opium, héroïne ?» - «Hooo lààà, laisse moi un peu le temps d’arriver bordel !» Bref, je prends une chambre sur la terrasse, 1,5 francs la nuit, mais le type me poursuit dans les étages en énumérant encore plus loin les drogues disponibles, je fini par le renvoyer, pas intéressé pour l’instant, et j’entre dans ma chambre. A peine la lumière allumée, voilà qu’une chauve-souris se met à voler en rond dans la chambre, j’enlève ma casquette et vise le carreau de fenêtre cassée pour essayer de la faire sortir par là, et elle fini par y sortir. Bon, je n’ai passé que 2 nuits dans cette chambre avant de m’installer définitivement sur le toit, à la belle étoile, pour la moitié du prix, sur une paillasse.

Restait cette histoire de 14’000 dollars, ça faisait lourd à changer, et Benoît ne voulait pas les changer à la banque qui donnait 28 roupilles par dollars mais au noir à New-Market, le plus grand marché de Calcutta, un marché couvert avec 4 entrées, au nord, sud, est, et ouest. Alors la première fois on y va à blanc, sans un sou en poche, pour voir quelle boutique serait capable de nous changer une somme pareille. Mais même auprès des plus importantes boutiques, dès qu’on leur fait comprendre qu’il s’agit de plus de 1000 ou 2000 dollars, les types décrochent et on essuie refus sur refus. Heureusement, après 5 ou 6 boutiques pour rien, un gamin vient nous voir et nous emmène dans une petite boutique de draperies, et là le patron est très direct, c’est du genre : «Bon, on sait que vous voulez changer beaucoup d’argent, plus de 4000 dollars d’après ce qu’on en dit, combien exactement et je vous dis mon prix !» C’est là qu’on lui dit le montant, le gars demande : «Tout en billet de 100 ?» (c’était important à l’époque car les indiens n’avaient pas le droit de changer plus de 100 dollars par jour à la banque et pour ceux qui partaient à l’étranger c’était ennuyeux, donc ils ne voulaient pas de petites coupures, que des 100), on lui dit que oui, tout est en billet de 100, et là il nous fait un prix à 31 roupilles par dollars, on n’a pas pu négocier beaucoup, je pense qu’on s’en est tenu à 31,5 ou 32 roupilles par dollars tout au plus, le type nous dit de revenir le lendemain, il aura les roupilles.

Alors le lendemain on y retourne, Benoît me donne la liasse de 14’000 dollars (pas fou, il avait pas envie de se faire égorger), et donc je me ballade avec une liasse de 10 centimètres de haut de billets de 100 dollars dans la poche gauche, et mon couteau ouvert dans ma poche droite. On entre dans New-Market, et là c’est hallucinant, parce le lendemain de notre petite enquête, tout le monde sait pourquoi on est là, il y a plein de dédales, on nous montre le chemin jusqu’à la boutique, et en marchant, je fais un calcul mental parce que je me rends compte qu’on est deux couillons qui se baladent avec un paquet d’argent dans un endroit où il n’y a en général pas un flic (et tant mieux en fin de compte). Mais bon, on m’avait dit qu’un flic municipal gagnait 50 dollars par mois, donc 600 par an, et du coup dans ma poche, j’avais le salaire de 25 ans de carrière de flic, dans un pays où plein de monde crève de faim. Reporté à la Suisse où un flic gagne 5000 balles par mois, ça revenait à se balader avec plus d’un million et demi de francs en poche si j’avais été en Suisse, mais personne ne crève de faim en Suisse. … et en plus j’avais vidé mon sac à dos à l’hôtel pour pouvoir charger les roupilles… On arrive quand-même sains et saufs à la boutique, le patron nous dit qu’il n’a pu rassembler le change que pour 7000 dollars, et là commence le comptage qui va durer un sacré moment, parce que si les dollars sont vite comptés (70 billets), pour les roupilles c’est plus compliqué, et il en a de toutes les couleurs (pas les mêmes coupures), donc on compte, on compte, et tout à coup l’alerte : Des flics sont rentrés dans New-Market, donc le type nous rend les dollars, reprend ses roupilles, ferme les stores et les lumières de la boutique, et on reste là dans le noir en attendant… ? En attendant quoi ??? Eh bien en attendant que les flics ressortent, parce que si les flics tombent sur un trafic pareil, ils nous fauchent tout (ça je ne le savais pas), mais aucune conséquence judiciaire à prévoir, puisque les flics préféreront prendre l’argent que de dénoncer le change au noir comme des bons garçons, pour tout se faire confisquer par l’adjudant chef une fois au commissariat. Donc nous on risquait nos 14’000 dollars et le patron de la boutique son tas de roupilles, c’est tout.

Bon, au bout d’un moment, un gamin vient toquer au store pour avertir que les flics sont repartis, on rallume la lumière et on rouvre un peu le store pour tout recommencer. Et j’ai un sac à dos de 35 litres, et je charge le sac à mort, il déborde quasi de roupilles, mais le compte y est. On repart donc de là avec 7000 dollars en main et un sac à dos de roupilles, et tout le monde est au courant, et personne ne nous attaque ! Arrivé à l’Astoria, on met tout ça au coffre, et rendez-vous est donné le lendemain pour le reste. Tout se passe bien pour le reste aussi, mais la veille c’était plus flippant parce que mine de rien, au total dans cette petite boutique de 8m2 il y avait l’équivalent de 21’000 dollars à une époque où le dollars valait plus d’un franc cinquante.

Voilà pour le change, une bonne chose de faite, la drogue maintenant ! Bon, à Sudder Street c’est en libre service, et ils ont de tout, mais je n’ai jamais touché autre chose que du cannabis dans ma vie, et ça tombe bien, ils ont une très bonne variété en Inde, la Sativa, le noir. Mais le vieux marchand de drogue me propose d’autres trucs assez improbables comme de la cocaïne (qui est plutôt censé venir d’Amérique du Sud), et même du LSD (provenance Hollande!), mais j’achète one Tola (10 grammes) de sativa, parce que one Tola c’est pas dangereux, mais plus de one Tola c’est 10 ans de prison.

Je vais au mouroir assez rapidement, le 22 novembre déjà il me semble, mais Sudder Street c’est un monde un peu à part dans Calcutta, parce que tous les routards blancs se retrouvent là, et donc la mafia des mendiants est aussi bien présente. Alors il y a la petite vieille qui ne demande à chaque fois qu’une roupille mais que je ne donne pas, et puis il y a celle qui a accepté de sacrifier l’un de ses gamins pour pouvoir mendier plus. Quand je vois le gamin, décharné, dans ses bras, eh bien on a quand-même un peu envie d’aider et puis je voulais vérifier aussi si c’était vrai : Sacrifier un gamin, c’est quasiment du sacrifice humain comme les Aztèques, … non, c’est pas quasiment, c’est du sacrifice humain. Donc le gamin, ça se voit que sa vie ne tiens plus qu’à un fil, il est atone, hagard, dans les bras de sa mère, décharné, et elle arrive là en pleurnichant : «Est-ce que tu m’achètes un peu de lait en poudre pour mon gamin ?». Je veux bien, et nous voilà parti avec son gamin à New-Market pour acheter un kilo de lait en poudre. On entre par l’entrée nord, on va vers l’échoppe du lait en poudre, le marchand me demande 20 roupilles (1 franc), je paye, la bonne femme me remercie et oh mon dieu que je suis bon, alors je fais mine de me barrer, mais en réalité je me cache derrière une échoppe avoisinante pour voir si ce qu’on racontait était vrai, et c’était vrai : Lorsque la bonne femme pense que je suis hors de vue, elle retourne chez le marchand, elle lui rend son kilo de lait en poudre et le marchand lui rend 10 roupilles. Donc sur les 20 roupilles de la magouille, la bonne femme en gagne sûrement 5, le marchand 5, et la mafia qui gère tout ça 10, et le gamin n’est pas mieux alimenté que si je n’avais rien donné. Donc voilà, une femme qui a peut-être 3 ou 4 gamins et qui accepte d’en sacrifier un pour pouvoir mendier plus qu’une seule roupille à la fois.

Et les gamins ont encore de la chance d’avoir une maman pareille, parce que les gamins qui n’ont pas de parents du tout, eh bien c’est un tout autre sort qui les attend. Enfin, là oui, le moribond qui sert à mendier paye pour les autres, mais les autres sont à l’abri des méchants parce qu’ils ont quand-même une maman. Ceux qui n’ont pas de parents, franchement c’est dur parce que dans une ville pareille, ils sont à la merci de tout le monde et quasi sûr de se faire choper par des trafiquants qui vont les utiliser pour voler, prendre des risques à leur place, et pour ceux qui n’ont pas de talents particuliers, se faire mutiler pour pouvoir quand-même rapporter quelque chose par la mendicité. S’ils ont un peu de chance et qu’ils tombent sur un homme de bien, il va les remettre à un orphelinat officiel de la ville, mais là-aussi c’est rude, parce que les orphelinats officiels fournissent en chair fraîche des sacrés pervers, et tout le monde est dans le coup, police et autorités comprises, inutile de faire une manif ça ne servira pas à grand-chose.

On revient donc à Sudder Street, parce que mon vieux marchand de drogue est toujours planté là, à son carrefour, et alpague les routards. Mais ça fait un moment que je suis là, il me connaît et ne m’embête plus, donc je m’assieds un moment avec lui, je lui demande qu’est-ce qu’il peut me proposer au maximum, et il énumère toutes les drogues que je connais et d’autres que je ne connais pas. Puis il me dit que si je veux une pute ou un type, il peut aussi fournir, je suis étonné de voir qu’il fait aussi dans la prostitution (et en Inde c’est de la traite d’êtres humains), il rigole et me dit : «Ben oui, si tu veux une petite fille ou un garçon je peux aussi t’en proposer !», et là je suis scandalisé, je lui dis : «Mais où ça bordel ?» Et il me répond : «Mais tu manges et bois des lassis tous les jours dans le même bâtiment, c’est juste au dessus du Bue-Sky où vont tous les routards, là, tu vois les fenêtres au premier étage ?». Il me dégoûte et je sors mon couteau à double tranchant en lui disant que j’ai envie de le planter là, de le sécher, même s’il est vieux. Au lieu de s’en retrouver apeuré il rigole : «Et ça va t’avancer quoi de me tuer ? Si je meurs, je suis remplacé en moins d’une demi-heure et tu auras non seulement des problèmes avec la mafia, mais aussi avec la police, c’est pas bon ni pour toi, ni pour les enfants ton idée.» Après ça, je me suis dis que je pourrais monter à l'étage, tuer le gardien et libérer les enfants, ... mais pour aller où ?, c'était impensable, la rue était surveillée, ils se seraient fait reprendre soit par un mafieu, soit par les mendiants, soit par les flics qui les auraient rendus à leur propriétaire parce qu'ils étaient bien entendu aussi engraissé par la mafia.

Et comme si cela ne suffisait pas, il y avait encore Thierry, un français formidable avec qui j’avais bu des verres, on lui aurait donné le bon Dieu sans confession parce que le brave homme avait ouvert des classes d’école, rien que ça, avec cours d’anglais et tout le toutim. Mais en réalité, s’il se donnait un peu de peine pour faire les leçons durant la journée, c’était son vivier personnel pour les nuits, et ça, je ne sais pas comment il s’arrangeait avec la mafia locale, mais bon sang, je n'aurai jamais cru ça de lui, c’est Didier qui m’a passé l’info bien après que je sois parti de Calcutta, je crois que ça s’était mal passé avec la mafia, qu’il s’était fait dénoncer et qu’il avait dû fermer son bastringue.

Alors pour ceux qui n’ont pas de parents, et c’est pas pour faire de la publicité aux cathos, mais s’ils ont eu de la chance de se faire récupérer par les bonnes sœurs de mère Teresa pour être placé à Chichubavan c’était jackpot pour eux ! Parce que les pervers ne pouvaient pas se servir là-bas. Mais Chichubavan n’était pas à Sudder Street, donc on n’en parle pas sous ce chapitre et on en revient à ma petite rue.

Vincent, un Belge, qui avait pris un joli guest-house, 30 dollars la nuit, dans une maison, peut-être la seule de Sudder Street, avec jardin arboré. Je l’avais connu sur la terrasse du Maria mais il était un peu mal en point et avait préféré prendre un peu plus ses aises. Donc je vais le chercher pour boire un verre et le type sors dans la rue avec son appareil photo reflex, Minolta 7000 (gros succès à l’époque), et à peine dans la rue, voilà qu’un flic l’apostrophe (un flic habillé en brun, de la municipalité, les flics habillés en blancs sont les flics de l’état et sont plus cher). Moi je n’avais pas de façons mais Vincent semblait avoir les moyens, et le flic le traite de drogué (et Vincent ne prenait aucune drogue), texto, le flic lui dit : «Toi tu prends de la drogue, tu me donnes ton appareil photo»… Vincent proteste, dis qu’il peut le fouiller, qu’il peut monter dans la chambre fouiller ses affaires, qu’il n’a aucune drogue, mais le flic ne va pas se donner cette peine, il sort son flingue et lui dit : «Bon, je t’emmène au poste et on va voir tout ça là-bas»… alors je lui arrache son appareil photo du cou et le donne au flic qui rengaine son pistolet et s’en va avec, je bouscule Vincent pour qu’il ne proteste pas, il venait de perdre un appareil à 700 balles, mais il s’était économisé une visite au poste, et ça, ça n’a pas de prix.

J’explique : En général, pour un flic brun, 50 dollars font l’affaire. S’il te demande tes papiers et qu’il y a 50 dollars dans ton passeport, il ne va même pas lire ce qui est écrit dedans, le contrôle se termine là. Si tu n’as pas tes papiers et qu’il t’accuse de drogue ou de quoique ce soit d’autre, le tarif des flics bruns c’est 50 dollars et tu n’iras jamais au poste. Mais si tu fais ta forte tête et que tu y vas, au poste, eh bien là ce n’est plus un flic qu’il faudra payer, mais les 12 du poste…, et la drogue, il vont la trouver, et plus que one Tola, donc 10 ans de prison. Un couple d’anglais s’étaient cru malins parce qu’ils se jugeaient si innocents qu’ils pouvaient aller jusqu’au poste et se laisser fouiller. Eh bien le flic a sorti une pétole de shit de bien au-delà de one Tola (10 grammes), et là, pour éviter 10 ans de prison, eh bien tu donnes tout ce que tu as ! La bonne femme n’avait rien dans son sac, mais les flics ont quand-même trouvé, barbatruc, et donc ils sont revenus à l’hôtel dûment escortés pour récupérer leur bagage, et c’en était fini de leur voyage, ils allaient sécher leurs cartes visa et américan express pour payer les flics, faire avancer leur vol retour, et zou, hors de l’Inde !

Alors le poste de police c’est vraiment le truc à éviter à tout prix, même contre un appareil photo Minolta 7000 à 700 francs. Et si t’es au poste et que tu fais encore ta forte tête parce que tu prétends que c’est les flics qui ont mit la drogue dans ton sac, salut ! Une fois arrivé auprès d’un juge..., les jurassiens qui avaient voulu sortir 14 kilos de haschich de la vallée de Manali (bon, là ils étaient coupables, mais même s’ils ne l’avaient pas été), eh bien un juge c’est 10’000 dollars par tête de pipe pour être libéré ! C’est ce qu’ils ont payé pour sortir de prison.

En tant qu’occidental, je dirai que les civils indiens ne sont pas vraiment dangereux, peu de violence contre les blancs, mais la police est réellement dangereuse parce qu’ils savent qu’il y a toujours un peu d’argent à en tirer et qu’ils ne risquent rien. Par contre, si un blanc est tué dans New-Market par un indien, là oui, ça devient international, ça risque d’emmener des problèmes au meurtrier, mais se faire rançonner par des flics, ils sont à la manœuvre, ils ne risquent rien.

Et un soir, on est une bande de 4-5 jeunes avec Benoît (il était retourné en Suisse et revenu), on va au parc Victoria, un immense parc de la ville, et là on est assis en rond et on fume du shit. Au bout d’un moment, je vois arriver un type en blanc, il y avait de l’éclairage de l’autre côté du parc, je ne sais pas ce qu’ils trafiquaient, mais je vois la silhouette blanche de loin et je dis à Benoît : «C’est quoi ça ?» Il se retourne, voit et nous dis : «Putain les gars, c’est un flic de l’état, un blanc, vous faites exactement comme moi !» Et là il commence à faire des espèces de prières Are Krishna en levant les bras, se penchant ensuite jusqu’au sol, moi j’écrase mon mégot par terre et je fais comme lui, le bout de shit est sous mon genou par terre dans l’herbe, on n’en mène pas large, et on fait nos prières comme des cons, le flic blanc arrive à notre hauteur, il nous observe et ne dit rien, on continue un Are Krishna en essayant de se synchroniser et de ne pas avoir l’air trop cons, et là il nous dit : «Hé les gars, vous ne pouvez pas rester là !»

Benoît : «Ah ? Bonsoir Monsieur l’agent, mais qu’est-ce qu’il se passe là-bas ?»

Le flic : «Un meeting politique demain sur le parc, il faut partir de là, on sécurise la zone !»

Benoît : «Ah d’accord, désolé, on n’était pas au courant, on s’en va !»

Je ramasse mon bout sous le genou et on se casse ! Du bol !

Sudder Street encore : Alina, une jeune séropositive, et en 1992 c’était le genre de truc qui faisait encore un peu flipper. Mais bon, elle est trop affaiblie et veut aller à l’hôpital pour recevoir une perfusion de fer ou de vitamines ou de je ne sais pas quoi pour se requinquer, et comme ça fait quand-même un moment que je suis là elle me demande : «Tu crois que je dois leur dire que j’ai le Sida ou pas ?» Moi je suis encore un peu naïf quand-même, je lui dis que c’est le corps médical, il y a le secret médical, c’est toujours mieux d’être honnête. Eh bien non, en Inde c’est pas mieux, parce qu’elle y va à l’hôpital, et le lendemain elle y revient escortée par deux flics qui lui font lister tous les endroits et les hôtels où elle a été en Inde et une fois ceci fait, ils l’embarquent à l’aéroport. Le lendemain, le plus gros journal de Calcutta, le Calcutta Herald, titrait en Une : «Une touriste française apporte le Sida en Inde !» (parce que l’Inde s’était déclarée Sida Free), donc voilà pour le secret médical par là-bas.

Alors Sudder Street c’est un peu de tout ça et d’autres chose plus joyeuses, comme chaque matin les hindous qui jouent autour de la pompe à eau en se giclant les uns les autres comme des gamins, la fête des couleurs durant laquelle on est pas sorti de la chambre à Benoît pour ne pas se faire colorier, et ma petite blanchisseuse qui faisait des aller-retour à la pompe à eau, et ma vendeuse de thé toujours assise dans sa fenêtre… C’est un endroit où à chaque fois qu’on sort dans la rue, on sait qu’il va se passer quelque chose, et il se passe à chaque fois quelque chose, donc je ne peux pas tout raconter, je fais comme le téléjournal, ici j’ai plutôt raconté les trucs moches...

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