Le Roi de Bohême

Article 2 => Bienvenue au Paradis !

Le 25/04/2025 0

Eh oui, elle y est :

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Mère Teresa

Ici je vais faire un petit mix entre ce que j’ai perçu d’elle à l’époque, ce que j’ai appris d’elle par la suite, mes impressions, et ce que j’en ai tiré après avoir pris connaissance de sa correspondance privée et de sa notoriété.

Je n’ai vu Mère Teresa qu’à la maison mère de la communauté des sœurs de la Charité, à environ 3 kilomètres de Sudder Street, à Calcutta, et pour la voir, il fallait y aller de bonne heure => Adoration à 05h00 du matin jusqu’à 06h00, et entre sa chambre et la chapelle, on ne pouvait la voir que sur environ 6 ou 7 mètres de couloir, en haut des escaliers. Dans la chapelle, elle s’asseyait toujours au fond à gauche en entrant, et restait là, perdue dans la contemplation.

Aucune aura particulière, ni auréole, non, rien, et pourtant je suis observateur.

Mais s’il fallait parler un peu schématiquement, je pense que mère Teresa a eu 2 vies, l’une avant le prix Nobel en 1979, donc à l’âge de 69 ans, parce qu’après ça, elle a dû se contenter de l’«être», ce qui n’était pas vraiment sa nature, qui était plutôt dans le «faire» à mon avis.

Elle est née en 1910, mais a déjà senti l'appel du Seigneur dès le début des années 20, et s’est ensuite fait formatée par les jésuites en Irlande, où elle prit le nom de Mary Teresa en référence à la petite Thésèse de Lisieux. Son élan missionnaire est venu très tôt, et en 1928 elle arrive déjà en Inde, à 18 ans, choquée par la misère qu’elle découvre à Calcutta (donc on peut dire qu’en 100 ans, mère Teresa ou pas mère Teresa, Calcutta reste Calcutta). Ce n’est qu’en 1946, en allant dana l'Himalaya au Sikkim, à Darjeeling, là même où j’y suis allé moi-même, qu’elle reçoit ce qu’elle appellera «l’appel dans l’appel», qu’elle décrira ainsi : «Soudain, j'entendis avec certitude la voix de Dieu. Le message était clair : je devais sortir du couvent et aider les pauvres en vivant avec eux. C'était un ordre, un devoir, une certitude. Je savais ce que je devais faire mais je ne savais comment».

Alors oui, pour les gens normaux, quelqu’un qui entend Dieu parler est un fou, pour un curé c’est un saint, mais pour Dieu c’est juste sa fille ou son fils, rien de plus. Par la suite, et vu sa correspondance privée qui a été dévoilée après sa mort, je peux dire sans avoir trop peur de me tromper que mère Teresa souffrait d'un méchant trouble psychique, une profonde dépression, voire une bipolarité comme moi, et comme bien d’autres d’ailleurs. On a donc des perceptions que des gens plus équilibrés n’ont pas. Pour ma part, je sais aujourd’hui que je vais rentrer en Europe dans quelques jours...

Et donc pour mère Teresa c’est pareil, elle a une illumination divine, mais elle n’a aucune idée de comment cela pourra se faire ? Et donc Dieu a dû lui donner une indication un peu plus claire, un peu plus simple, et Il lui a dit : «Prends soin de moi».

Voilà, c’était pas plus compliqué, et prendre soin de quelqu’un c’est très simple : tu vois un misérable dans la rue, tu t’accroupis, et si t’as 3 roupilles, tu lui paye quelque chose à manger, mais si tu ne les as pas, eh bien tu lui tiens un peu compagnie, tu prends soin de lui, … du Christ ! Et c’est ce qu’elle fait, en toute simplicité.

Mais quand Dieu demande et qu’on obéi, eh bien ça fait tâche d’huile et elle se retrouve à perdre des centaines de milliers de dollars parce que pour des gens comme nous, ouvrir un compte en banque passe encore, mais créer une association ou une congrégation, eh bien Salut ! Donc les gens envoient des chèques à «l’association de mère Teresa de Calcutta» et elle ne peut pas les encaisser parce qu’elle n’est pas une association, c’est juste une personne. Donc elle a eu la chance d’avoir un prêtre qui s’est occupé un peu de ces affaires administratives tandis qu’elle pouvait répondre à l’appel du Seigneur.

Et tout cela, c’était sa première vie, si on excepte son temps où elle était enseignante, mais même en tant qu'enseignante, c’était aussi sa première vie : toujours dans le «faire». Et elle en a tellement fait qu’elle a été distinguée de toutes les manières durant son soixantenaire, car en 1971, à l’âge de 61 ans, elle reçoit le prix Jean XXIII par le pape Paul VI, et à 68 ans, tout ça se concrétise par le Nobel de la Paix, et à partir de là, elle a dû glisser gentiment dans l’«être» plutôt que dans le «faire», parce que trop connue pour traverser la rue sans provoquer un attroupement, donc à partir de ce moment-là, je pense que ça a été très dur pour elle, qui aimait tant la simplicité au contact des pauvres.

D’ailleurs, l’une des premières fois qu’on échange quelques mots ensemble, c’était encore pour lui remettre un prix : le prix Farinet 1991, et elle devait en être gavée de ces prix, … je lui apporte 10’000 dollars, elle regarde si c’est un chèque, c’est pas un chèque mais une promesse de payer une infirmière à hauteur de 10’000 dollars pour qu’elle vienne bosser au mouroir... Donc en gros, elle s’en fout un peu, parce que les promesses des gentils volontaires occidentaux, elle connaît, et si payé en plus, ça n’augurait rien de bon, et elle avait raison parce que l’infirmière ne s’est pas contentée de faire faux bond après 15 jours au mouroir, mais elle s’est répandue en critiques de Mère Teresa dans les journaux Suisse à son retour… Alors voilà ce que je lui apportais, un cadeau empoisonné, et elle le savait très bien à peine avais-je fini mon explication. Si au moins ça avait été un vrai chèque, elle aurait pu en faire quelque chose, mais non, même pas, et j’avais bu la bouteille qui l’accompagnait, donc sur ce coup-là, elle n’a vraiment rien eu à part du venin.

Donc voilà, une petite bonne femme d’un mètre cinquante, et à 5 heures moins 5 du matin, lorsqu’elle apparaissait de son rideau pour traverser les 6 ou 7 mètres de couloir jusqu’à la chapelle, fallait pas trop l’emmerder. Juste un «bonjour mère», et si on venait assez souvent à l’adoration, au bout d’un moment elle nous reconnaissait avec un petit sourire, guère plus.

Je me souviens qu’une fois, elle avait encore dû recevoir un prix ou être nominée pour un truc en quelque part dans le monde, et le matin, dès 4h45, il y avait la presse dans le couloir, guettant la sortie du rideau de sa chambre, un couillon de photographe s’était mis dans l’idée de faire une photo en contre-plongé et s’était carrément couché dans le couloir pour la faire depuis le dessous. Mauvaise idée, pensais-je, le type était de nature à empêcher la mère d’atteindre la chapelle, et quand elle est apparue, elle n’a fait aucun cas et a shooté dans son appareil photo. Pas méchamment, mais quand-même sans façons avec son pied, du genre : - Pousse-toi et fais place, tu vois pas que j’avance ?, abruti !

Donc elle ne s’arrête pas, ne répond à aucune question, je pense que ça devait sérieusement commencer à la gaver ces prix. Parce que mine de rien, quand on met ce genre de personnes sous les projecteurs, elles ne changent pas de nature, ni de personne je pense, mais ça incommode, et au lieu de se contenter de pouvoir "faire", elle a dû apprendre à ne que «être», et être quoi ? une icône ? une sainte ? Peu importe, mais juste «être», et ça c’est très rude pour des gens qui souffrent comme ça, mais disons qu’elle avait une sacrée armée de bonnes sœurs pour l’épauler.

Et puis très tôt, elle a été épaulée par ce curé qui l’a aidé à créer les «missionnaires de la Charité», et à l’époque où j’étais à Calcutta, elle avait déjà 10’000 bonnes sœurs sur tous les continents qui bossaient pour les pauvres. Là à ses côtés, on était vraiment à l’épicentre du séisme «Teresa», et je pense que si Sainte Thérèse de Lisieux est la sainte patronne des missions, eh bien en choisissant ce nom grâce à elle, elle y a fait honneur.

Mais là, en 1991-92, il lui restait cette heure d’intimité avec le Seigneur, entre 5h00 et 6h00 du matin, je ne restais jamais pour la messe qui suivait, car je rentrais à Sudder Street pour déjeuner, puis il fallait aller prendre le métro jusqu’à Kaligath, où j’arrivais vers les 8h00 pour commencer mon œuvre. Alors oui, quand il y a un prix Nobel de la Paix dans une petite chapelle, et comme j’ai toujours été observateur, eh bien on est tenté de la regarder elle, assise sur les talons, genoux à terre, à adorer, s’abîmer dans la contemplation, ou pas, mais toujours captivée par le Saint Sacrement, même si elle avait les yeux fermés. J’étais gêné de la regarder, non pas parce que j’avais peur qu’elle me regarde et pointe du doigt le Saint Sacrement pour me dire : «C’est là que ça se passe, jeune homme !», mais sans même montrer du doigt, sans rien dire, eh bien je savais, par son attitude, que l’important dans la pièce, ce n’était ni elle ni le Nobel, mais le Saint Sacrement, et c’était réellement là que ça se passait !

Et ici est justement le point de bascule, parce que lorsqu’on a affaire à une sainte vivante qui a reçu le Nobel, eh bien on peut se faire des films, comme Didier qui ressentait une telle sérénité en elle, une aura, une élévation, elle irradiait…, qu'il disait, oui oui, comme si elle dormait dans un réacteur nucléaire ! Non, en réalité il faut se forcer à rester un peu pieds sur terre et ne pas se laisser impressionner par les prix et distinctions et juste la voir, elle, ce petit bout de bonne femme, qui restait là, une heure de temps, à genou et assise sur ses talons, comme le font les indiens, et prendre de la graine, c’est tout. Parce que mère Teresa a vécu des moments très difficiles, comme il en ressort de sa correspondance privée sortie dans un livre en 2007 :

- Cette noirceure m’entoure de tous les côtés – je ne peux pas élever mon âme vers Dieu – aucune lumière ou inspiration n’entre dans mon âme... Le Ciel, quel vide – pas une seule pensée du Ciel ne me vient à l’esprit – car il n’y a pas d’espoir... La place de Dieu dans mon âme est vide. Les gens disent qu’ils sont plus proches de Dieu en voyant ma foi... N’est-ce pas tromper les gens ? Chaque fois que j’ai voulu leur dire la vérité : je n’ai pas la foi !

Rude, non ?

Mais quand on est à l’extérieur de la personne, on ne perçoit pas ça, on a l’impression qu’elle s’abîme dans la contemplation et la prière, et qu’on ferait bien d’en faire autant !

A un moment ça en a été à un point tel qu’elle a dû quérir du secours auprès du prêtre qui s’occupait d’elle, mais elle était déjà si connue que le type lui pose une question qui est un piège mortel pour une personne de bonne volonté : «Mère, vous donnez de l’espoir à tant de monde, alors vous dites ne pas avoir la foi, pourriez-vous tout de même faire comme si vous l’aviez ?, … pour les autres ?»

Et bien entendu, mère Teresa répond oui parce qu’elle ne peut pas faire autrement que d’accepter, elle a donné toute sa vie au Seigneur, elle a 10’000 bonnes sœurs, elle ne peut pas faire autrement, donc elle accepte de faire semblant.

Donc voilà, sur Mère Teresa il n’y a pas grand-chose de plus a en dire car à part le couloir de 6 ou 7 mètres de long et la chapelle, je ne l’ai pas connue plus que ça.

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