Le Roi de Bohême

Article 3 => Bienvenue dans le pays le plus pauvre du monde !

Le 29/04/2025 0

En 1992 ça l'était en tout cas...

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Bangladesh

Alors là on en arrive au 20 février 1992, juste après la visite de Lady Di au mouroir, et il faut bien que je sorte de l’Inde pour renouveler mon visa touriste de de 3 mois, et heureusement pour moi, Calcutta se trouve en bordure du pays, contrairement à ici au Brésil, où mon trou se trouve à des milliers de kilomètres de la frontière la plus proche. Et puis les indiens me semblent plus pointilleux sur l’administration que les brésiliens, alors il fallait que je sorte du pays, mais depuis Calcutta c’était plus simple : Un avion pour Dhaka au Bangladesh, une demi-heure de vol, 25 dollars et c’est réglé, on est hors pays dans une capitale étrangère où il y a des ambassades de toutes sortes.

Je veux dire, une ambassade indienne toute pourrie pour renouveler un visa touriste de 3 mois, et une ambassade Suisse rutilante pour faire reporter mon service militaire parce que je bosse chez mère Teresa et que mon paternel m’avait informé que j’avais reçu mon ordre de marche qui ne me convenait pas du tout. Mais alors là, si quand on pénètre dans l’ambassade indienne, on est sûr d’être encore en Inde, quand on pénètre dans l’enclos de l’ambassade Suisse, là oui, pareil aussi, on est sûr d’être en Suisse. Ça étincelle, le marbre du rez-de-chaussée ne laisse planer aucun doute : c’est propre en ordre, poutzé, genre d’endroit où il doit même y avoir des cendriers parce qu’il n’y a pas le moindre mégot par terre. Et accueil glacial par une réceptionniste Suisse allemande, mais vu ma dégaine ça ne pouvait pas être autrement, ...parce que lorsque je suis arrivé en Inde, le jeans que j’avais découpé comme bermuda m’arrivait sur le haut des genoux, et là, trois mois plus tard, il avait déjà vachement rétréci, et il allait finir par ressembler à un string (lorsqu’on a été avec Nicolas à l’American Express de Calcutta c’était quasi le cas). Donc pas de dégaine, bandana, le type vient là pour se trouver une excuse pour repousser son service militaire, je vous laisse imaginer l’accueil...

Du côté indien c’était pourri mais aussi assez formel, une fille d’attente…, et devant moi, un business-man belge qui se vante de devoir changer de passeport tous les 2 ans tant il voyage et qu’ils sont remplis de visas et de tampons, bref : un type important…! Mais quand l’employé indien de l’ambassade me voit dans la fille, avec la même dégaine que dans l’ambassade Suisse, il ne voit pas ma dégaine, il voit mon passeport rouge avec un grosse croix rouge dessus, et il me dis : «You ! Came here !» Et là, plus de fille d’attente, j’ai un passeport rouge avec une croix blanche dessus, je passe devant tout le monde, salut le business-man belge avec ton passeport moisi, t’as qu’à attendre ! En gros, à l’ambassade indienne de Dhaka, le passeport rouge avec la croix = un type au moins aussi important qu’un corps diplomatique ou quelque chose comme ça, en tout cas, pas le genre de type qu’on fait attendre dans une fille !

Et donc je donne mon passeport, je formule ma demande : un nouveau visa touriste indien pour 3 mois, et tout est ok tout est bon, il ne me reste plus qu’à attendre 2 semaines avant de pouvoir refouler le sol indien. …2 semaines, ça a l’air rien dit comme ça, mais c’est quand-même long, surtout que j’étais attaqué par diverses maladies : les amibes, mais ça c’était commun, je les eues durant tout mon séjour indien parce que je buvais l’eau des canalisation de la ville de Calcutta sans filtrer, et puis une méchante attaque de galle qui me faisait me gratter partout, et un peu plus tard, ma première grosse, immense déprime, peut-être la première phase dépressive majeure de ma maladie.

Mais bon, on est à Dhaka et c’est vraiment le coin où tu n’as pas envie de rester traîner, parce que l’année précédente, en 1991, il n’y avait eu que 2000 «occidentaux» qui étaient entrés dans le pays, et donc tout le monde te regarde, les taxis vélos ou motorisés s’arrêtent même pour te regarder passer, c’est une horreur, à la fin on fini par regarder par terre, à un mètre devant soit, parce qu’on est constamment dévisagé de la tête aux pieds par tout le monde. Du coup mon objectif c’était de descendre jusqu’au sud du pays sur une plage qui s’appelait Cox Bazar, ça avait l’air engageant dit comme ça, mais voilà, il fallait traverser tout le pays, et si ce pays était considéré comme étant le plus pauvre du monde en ce temps, ça devait sans doute être calculé en PIB VS nombre d’habitants, un pays traversé par le delta du Gange, pas de train sur les 17 dernières heures du voyage, des heures et des heures de bus sur des routes en terre, cahotique… Et je m’excuse, mais le pays était vraiment moche, rien à voir.

Et attention, en 1992, le Bangladesh n’était pas encore connu pour ses industries textiles, donc les cours d’eau étaient à peu près casher, en tout cas il y avait des pécheurs et des poissons, mais depuis l’installation des industries textiles et les produits chimiques, eh bien les femmes sont allées coudre pour H&M, et les maris pécheurs sont restés à la maison parce qu’il n’y avait plus un seul poisson dans les cours d’eau.

Enfin voilà, je fais une vingtaine d’heures de bus et j’arrive à cette station de Cox Bazar, identifiée comme étant la seule plage potable du Bangladesh par le guide du routard. Oui, j’avais toujours le guide du routard parce que j’avais bossé pour économiser 9000 francs et il fallait que ce montant me tienne pour 2 ans de voyage, donc je prenais à chaque fois les hôtels les plus pourris, et le guide du routard me les indiquait sans avoir besoin de chercher.

Mais bon, Cox Bazar…, la plage, ...c’était une étendue immense de 300 mètres de large, 2 arbres sur 3 déracinés par le cyclone qui avait passé par là en 1991, et des méduses visqueuses d’un mètre de diamètre étendues au soleil en bord de mer, j’ai pas mis un pied dans l’eau et suis allé à mon hôtel en attendant que ces 15 jours passent… J’avais un hôtel avec une fenêtre qui donnait sur le mur d’en face, à 50 centimètres de la fenêtre, aucune vue, la déprime, les amibes, la galle, … je vous laisse imaginer. Bon, en allant m’alimenter un peu plus loin dans la station, j’ai vu que «Médecins sans frontières» s’étaient établi dans un hôtel un peu plus cossu, et j’avais vraiment besoin de parler à quelqu’un de ma civilisation, mais les types étaient entre eux, tout allait bien pour eux et je le voyais bien, donc je me suis rabattu sur mon problème de galle et ils m’ont donné la pommade idoine, genre de pommade qui grille tous les tunnels creusés par ces petites bestioles de galle, on pouvait voir les tunnels entre les doigts, sous la peau, et la pommade était si forte qu’elle allait tout griller jusqu’aux bestioles qui creusaient. Mais pour avoir déjà expérimenté une fois ce machin à Calcutta, je savais que j’allais souffrir… Parce que sur les mains et sur tout le corps, eh bien ça passe encore, mais il y a un endroit où les hommes se touchent un peu, et là, sur les burnes, eh bien ça brûle du tonnerre de feu. A Calcutta, ça avait été si violent que j’avais refroidi tout mon accastillage avec de l’eau froide parce que c’était atroce. Donc là j’étais déjà un peu au courant, j’ai fait ça dans la salle de bain, et j’en suis venu à bout, de cette galle. Mais voilà, les amibes, dépressif, galeux, je n’en menais pas large...

Restait donc les amibes et la déprime, alors comme ce Cox Bazar était archi-nul, je me suis dit que j’allais visiter Chittagong, la deuxième ville du pays, en bord d’océan aussi, mais plus au nord. Avant de partir, j’ai acheté une perle d’huître à un jeune pécheur de perle, en guise de souvenir…

Par contre, dans le pays le plus pauvre du monde, eh bien même les gamins connaissaient «Switzerland» : c’est le pays le plus riche du monde, l’argent pousse sur les arbres (oui, certains m’ont dit que c’était leur instituteur qui leur avait appris), et donc tout le monde veut mon adresse, alors au bout d’un moment j’en ai marre et je dis que je viens d’ailleurs, et là je me rend compte que si tout le monde connaît Switzerland, personne ne connaît Italia, France, Belgium, pour finir j’étais même Colombien, Escobar était encore en vie.

Bref, je m’embarque dans un bus pour faire chemin inverse et là je me retrouve assis à côté d’un jeune gars très cultivé, qui parle anglais nickel, de bonnes manières, et vu la vitesse du bus et la longueur du trajet, on a le temps de sympathiser, à tel point qu’à Chittagong il m’invite chez lui, sa mère nous fait à manger et me traite comme un fils, lui était l’aîné d’une famille de 5 frères, un hindou, donc pas musulman, très rare au Bangladesh puisqu’à la partition des Indes, les musulmans sont sensés avoir migré soit au Bangladesh, soit au Pakistan. A sa maison, il me montre ses dossiers, et là, il a tout un tas de dossiers et de photos de la Suisse, des écoles hôtelières en Suisse, il y a de belles photos du lac Léman, ça fait plaisir. Il me raconte aussi un peu l’histoire du cyclone de l’année dernière, plus de 200’000 morts, un tsunami de 15 mètres de haut qui a passé sur une île de 50'000 habitants dont le point culminant était à 8 mètres au-dessus des flots, totalement balayée. Eux étaient dans la maison, le toit a été arraché mais les murs en dur ont tenu, puis tout à coup, le silence et le calme, d’un coup, c’était l’œil du cyclone, et un peu plus tard, la folie qui repart, mais en sens inverse, lorsque l’œil s’est éloigné. Bref, ils avaient reconstruit le toit mais il a jugé que sa maison était trop vétuste pour un type qui vient de Switzerland alors il m’a emmené au Hitlon de Chittagong. Je ne sais pas si le lecteur peut s’imaginer, le Hilton ! A Sudder Street, l’hôtel le plus classieux de la rue faisait l’angle avec l’avenue et ils l’avaient appelé le Litton (histoire de faire un peu style Hilton), air conditionné, 35 dollars la nuit. Donc là on entre au Hilton et le gars me paye 2 nuits sur ses deniers personnels !!!

Bon, moi j’ai envie de boire un coup, mais rien, ni au bar ni au restaurant de l’hôtel, et on est au Hilton, bordel de merde, mais c’est quoi ce foutoir ??? Ahhh… ?, on est dans un pays musulman, et alors ? J’avais déjà été dans un pays musulman, en France, et il me semblait qu’il n’y avait aucun problème pour boire un verre ! Non, mais là c’était ni la France, ni le Maroc, ni l’Égypte, genre musulmans tolérants, dans ces pays asiatiques et musulmans, ils sont comme hyper-cathos, mais là c’est hyper-musulmans, et donc pas d’alcool dans tout le pays, verboten ! Le lendemain, je rouspète quand-même un peu à mon nouvel ami, je veux boire un verre et même prendre une cuite, c’est quoi ce pays d’arriérés ??? Lui n’est pas chaud pour aller prendre des risques, mais son petit frère me dit : «Ce soir, je t’emmène !», et le soir, il m’emmène par des ruelles sombres, sous la gare, on arrive devant une porte grillagée, il y a un garde derrière avec un fusil, le frangin montre patte blanche (je suis hindou et pas musulman), le garde laisse entrer, et et on se retrouve dans une immense salle, pas de musique, austère, mais avec une paroi remplie de bouteilles, et ils vendaient par bouteille, donc on venait clairement là pour se saouler et pas pour boire l’apéro et déconner. Donc on a acheté une bouteille de whisky et on s’y est mis sérieusement, avec aplomb et détermination !

Pas grand-chose à en dire d’autre, à part que je suis retourné à Dakha, et en attendant mon visa, j’ai encore eu le temps d’aller au quartier des orfèvres pour qu’ils me fassent une petite tulipe en or pour y loger la perle que j’avais acheté à Cok Bazar, histoire de me faire une boucle d’oreille. Ceci dit ceci fait, il ne restait plus qu’à faire le trou… J’avais sélectionné 2 aiguilles, une fine et une plus épaisse, sensée faire un trou assez grand pour y glisser la boucle d’oreille. Alors dans mon hôtel pourri, en face du miroir de la salle de bain, je fais le premier petit trou sans problème dans le lobe de mon oreille, puis j’engage la plus grande aiguille dans le premier trou mais merde, je ne trouve pas la sortie, donc je triture un moment et au bout d’un moment je me dis crotte, zut, flutte, caca-boudin, et je perce une deuxième sortie… Ensuite, je prends la boucle d’oreille en or et pareil, elle entre sans problème, mais je ne trouve à nouveau pas la sortie, donc au bout d’un moment je force pour créer une nouvelle sortie et je fixe l’arrêt de l’autre côté, content, ma première boucle d’oreille, à gauche, parce qu’on m’avait dit qu’à droite, c’était pour les homos.

Le lendemain matin, le lobe de mon oreille avait tellement gonflé que je n’arrivais plus à aller chercher l’arrêt avec mes ongles de l’autre côté de l’oreille, mais au bout d’un moment, ok, j’avais réussi à l’enlever. Le lobe était tout gonflé et mon oreille toute rouge, ça semblait méchamment infecté, mais heureusement, un routard m’avait dit comment faire : «si ça s’infecte, faut mettre un bout de bois à l’intérieur et ça ira...», donc avec mon couteau Suisse, je taille une allumette et la glisse dans le trou, … après à peine deux jours, il n’y paraissait plus, l’oreille était désenflée, et j’ai pu mettre ma boucle d’oreille avec ma perle de Cox Bazar !

En quittant Dakha j’ai fait une connerie : au lieu de rentrer à Calcutta par avion, je me suis mis dans l’idée de rentrer par bateau, je ne sais pas pourquoi, peut-être pour économiser, parce que je n’avais ni pris la première classe, ni la deuxième, juste une place sur le pont, et ça a été 48 heures d’horreur. Bon, j’explique, parce que là, sur le pont, même si c’est le moins cher qu’on puisse trouver, il n’y a aucune barrière physique entre soi-même et les indigènes, et en plus, entre chaque planche de parquet, il y a du mastic qui laboure le dos si on essaie de se coucher. Alors je me retrouve là, contre la rambarde, avec une foule de 15 à 20 bangladeshis qui se relaient pour m’observer, juste m’observer, sans aucun sourire ni animosité, mais il y a tout le temps 20 paires d’yeux sur moi. Les types sont positionnés à 3-4 mètres, en cercle autour de moi, et ils me regardent sans même essayer d’entamer la moindre conversation que ce soit. A ce niveau, les hindous étaient plus bavards que ces musulmans de bangladeshis. Au bout d’une dizaine d’heures de traversée, mes nerfs sont à bout, je me lève, je les engueule, je leur dis de se casser, et le flic du bateau vient voir ce qui se passe… - Eh bien il ne se passe rien, mais j’en peux plus, ils ne font que de me regarder, là, en cercle autour de moi, ils ne peuvent pas regarder le rivage ou les rizières alentours, putain je suis à bout ! Le flic semble comprendre la situation, me dit d’aller dans une cabine en première classe mais je lui dis que je n’ai pas les moyens. Alors il se saisit de sa matraque et commence à matraquer les curieux qui se dispersent, et il est cool, parce qu’il revient chaque heure pour disperser les gens à coup de matraque…, mais il sort environ 8 ou 10 heures avant l’arrivée, et là je sais que je n’ai plus le choix, qu’il va falloir passer le reste du voyage sous le regard passif de ces gens, parce que la violence et moi, ça fait 2, et si je peux bien gueuler sur les gens, ce n’était pas mon style de me mettre à les castagner dessus juste parce qu’ils restent là plantés à me regarder.

Donc voilà en gros le Bangladesh, il n’y a vraiment pas grand-chose à en dire, un pays qui se trouve sur le delta du Gange, aucun intérêt touristique, rien à voir, des musulmans partout, et si on veut boire de l’alcool, il faut se cacher, et donc je me souviens qu’à l’arrivée à Calcutta, eh bien bon sang, je me suis senti chez moi, comme de retour à la maison !

Désolé, j’aurai bien voulut mettre des photos, mais elles sont toutes en Suisse...

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